L’eau est vert émeraude, puis d’un bleu profond, grise, jaune, un festival de couleurs. Le vent s’est levé, le soleil est de la partie après la pluie.
Comme le déclare un jeune autochtone plein d’humour :
« Ici, il ne pleut qu’une fois…. mais pendant deux jours ! ».
Le petit port de plaisance et les tours du château s’éloignent rapidement grâce à une bonne brise de nord-est. Le vent est régulier, quelques petits moutons chahutent de-ci, de-là.

A l’horizon, j’aperçois, « La Vaudoise » qui, toutes voiles dehors, fait route au Sud.
Je décide de la rejoindre pour l’observer de près.

Cette magnifique vieille dame, ancienne barque née en 1932, servait à transporter pierres, sable, graviers ou bois, élégante avec ses 22,65m de long, 7,90m de largeur, ses 25 tonnes.

Son gréement est classique des barques dites « de Meillerie », soit deux voiles latines et un foc, 140m2 de voilure.

Aujourd’hui, elle peut transporter 35 passagers et 8 personnes constituent son équipage.
Nous naviguons de conserve un moment pour le plaisir, puis je m’éloigne vers l’Ouest.

Une seconde surprise surgit plus loin : un grand catamaran de course, du style Alinghi ou Tilt (cf. Bol d’or du Léman) déboule avec quatre hommes à la manœuvre , vêtus de combinaisons noires. La puissance et la vitesse du navire impressionnent. A peine un petit signe de la main et cette fusée disparaît au loin.

En fin d’après-midi, le vent tombe. L’eau se lisse, devient un immense miroir et me réserve une troisième émotion.

Voile affalée, les avirons à poste, je rame paisiblement, un silence impressionnant m’accompagne, pas un bateau alentour.
J’écoute le chant des filets d’eau qui coulent le long de la coque, rythmé par la chute de fines gouttelettes qui se détachent des pelles.
Une étrange ambiance m’emporte, « Towanda » glisse sur le ciel, les nuages, les pics, les sommets des montagnes. Je ne distingue plus aucune limite entre le ciel et l’eau, la perspective se transforme.
Je songe immédiatement au peintre-graveur Pietro Sarto, dont les aquarelles expriment une émotion identique en changeant la perspective.
Partageant la même expérience, je ne suis pas devant un paysage mais au cœur d’un tableau magnifique.
P. Sarto s’est inspiré des travaux d’Albert Flocon, graveur et théoricien de la représentation de l’espace (Père de la Géode)
L’histoire commence en 1929, un astronome allemand devait représenter la carte du ciel. Il photographiait le ciel et essayait de rassembler des rectangles pour constituer la voûte céleste.
Pour agrandir ces rectangles, il avait imaginé de photographier la nuit étoilée en immergeant l’appareil photo au fond d’une cuvette d’eau.
Ce fut la naissance de « l’œil de poisson ». Il fut le premier à obtenir des images « grand angle ».
Flocon poursuivit cette idée et mit au point, avec un mathématicien, la perspective curviligne, soit la représentation en lignes courbes de l’univers. Il l’appliqua au dessin et Sarto à ses aquarelles.
Me rapprochant du petit port, je croise quelques pêcheurs qui me tirent de ma rêverie. Nous échangeons quelques paroles et je rejoins la cale l’esprit plein d’images et d’émotions.

FGA « Towanda » Seil N° 93.
Morges, Août 2007

Cale : Port du Petit Bois, au centre de Morges, direction Genève, passer devant le camping et la piscine ; mise à l’eau facile, remorque stationnée sur l’herbe, gratuit pour une journée ; parking automobile libre juste au-dessus.

Découvrir Pietro Sarto : Atelier de Saint-Prex, Grande rue, à ST-Prex, Suisse

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